TRANSTUR

« Ordonner et transiger : modalités de gouvernement et d'administration en Turquie et dans l’Empire ottoman, du XIXe siècle à nos jours »

L'État turc est généralement considéré comme fort, unifié, clairement différencié par rapport au reste de la société et largement imperméable aux demandes sociales. Cette vision ne résiste pourtant pas à l’examen, dès lors que l’on prend acte de l’important décalage entre discours et pratiques, de l’existence de clivages saillants au sein des institutions, et de la « porosité » entre administration et société. Notre ambition est donc de mettre à profit les apports de la sociologie de l’État, de la socio-histoire du politique et de la sociologie de l’action publique pour proposer une lecture des modes de gouvernement et d’administration dans l’Empire ottoman et en Turquie, et de leurs évolutions. Il s’agit de passer d’une analyse statique de l’État à l’étude des manières de gouverner et d’administrer. L’État sera entendu comme un ensemble d’acteurs individuels et collectifs, qu’on tentera de saisir à travers ses pratiques, figures et usages concrets, et en interrogeant ses frontières internes et externes. Nous comptons également décentrer le regard par rapport aux institutions étatiques, pour intégrer à l’analyse d’autres acteurs impliqués dans l’action publique, et analyser leurs interactions. Une approche transdisciplinaire intégrant la science politique, l’histoire, la sociologie et l’anthropologie sera mise en œuvre pour étudier les modes de gouvernement dans leur complexité. Trois axes feront l’objet d’une enquête approfondie. Le premier s’attachera à retracer les évolutions des périmètres et modalités d’intervention de l’État comme facteur et conséquence des transformations de la gouvernementalité. Comment les savoirs, les catégories et les technologies du gouvernement sont-ils produits et reçus ? Le second axe sera consacré à l’étude des phénomènes de fragmentation des institutions et à leur influence sur les pratiques de gouvernement. Nous aborderons la professionnalisation des agents d’État, les phénomènes de perte d’objectivité et de neutralité des pratiques d’État, et enfin le cloisonnement entre institutions. Enfin, le dernier axe s’attacher à étudier les formes de perméabilité de l’action publique aux acteurs non institutionnels et individuels (intermédiaires, acteurs privés, mais aussi usagers) ; il s’agira d’identifier ces acteurs, leurs modes d’implication et d’intervention dans l’action publique, mais aussi d’analyser les savoir-faire mis en œuvre par ces acteurs dans ces interactions. Ces questions seront considérées dans leur historicité – une ambition du projet étant de proposer une chronologie révisée des modes d’administration et de gouvernement, peut-être différente des grandes césures institutionnelles de l’histoire politique turque. Une autre ambition est de proposer une sociologie renouvelée des modes d’administration et de gouvernement, mais aussi des relations entre État et société. Outre l’approfondissement de savoirs sur le cas turc, l’ambition de ce projet est d’apporter des éléments de réponse à des questions d’une portée plus générale. Le cas ottoman et turc est en effet particulièrement heuristique pour analyser les dynamiques de changement des modes de gouvernement et d’administration. Il permet notamment de poser de manière quasiment idéal-typique la question du rôle des influences extérieures dans la mise en place, ou l’évolution, des pratiques de l’État. Enfin, ce travail permettra de tester l’exportabilité des instruments d’analyse de sociologie de l’action publique, éventuellement d’en dévoiler certains angles morts ou présupposés implicites.

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